Dans un Hadith du prophète Mohammed, on peut lire : « Dieu ne regarde
pas vos visages mais vos cœurs » et « vous êtes tous [les fils] d’Adam
et Adam est de terre, le meilleur d’entre vous est celui qui craint le
plus Dieu ». Il est nécessaire de préciser la place de l’Homme dans
l’univers selon l’Islam. Il est important de rappeler que l’Homme a été
créé dans les meilleures dispositions pour remplir sa mission sur terre.
Le handicap ne diminue en rien la valeur humaine devant Dieu, les
critères d’élections ne sont pas les aspects physiques mais bien sur la
pureté de l’âme et du coeur. Le Coran n’étant pas un recueil de
médecine, il ne donne ni diagnostic ni remèdes à la cécité. C’est un
livre de guidance, qui transcende l’histoire des hommes, l’espace et le
temps. Il s’adresse à ce qui est immuable en l’homme : le désir d’amour,
de haine, de paix, de guerre et de foi en Dieu. Il laisse à l’homme les
domaines évolutifs.
Le mot « aveugle » et ses dérivés sont répétés dans le
Coran 33 fois. Il l’oppose, en métaphore, au mot « voyant » pour faire
comprendre aux hommes la différence entre la foi en Dieu et sa négation.
Celui qui croit en Dieu est guidé par Sa lumière, tout comme le voyant
se dirige dans la lumière du jour, alors que celui qui nie Dieu se
trouve dans les ténèbres tout comme l’aveugle qui ne peut voir ni se
mouvoir qu’avec peine et risques pour lui :
« Ils se sont imaginés qu’ils ne seraient jamais éprouvés ; ainsi
ont-ils fermés les yeux et se sont-ils bouché les oreilles [sur leur
égarement]. Dieu a ensuite accepté leur repentir, puis ils sont devenus
de nouveau sourds et aveugles et Dieu voit parfaitement ce qu’ils font »
(Coran : S5/ v71)
« Dis-leur : je ne prétends pas devant vous posséder les trésors de
Dieu, je ne connais pas ce qui nous est celé et je ne prétends pas
davantage à être un ange. Je ne fais que suivre ce qui m’est inspiré.
Dis-leur : l’aveugle et celui qui voit en sont-ils au même point ? y
avez-vous réfléchi ? » (Coran : S6/v50)
« Il en est d’autres qui te regardent [avec attention] : es-tu en mesure
de guider les aveugles alors même qu’ils ne voient rien ».
(Coran : S10/v43)
Si nous nous tenons à ces citations, nous pourrions
donner l’impression que le Coran méprise les aveugles et les
non-voyants. En fait, il n’en est rien. La cécité dont parle le Coran
est celle du Cœur : « Ce ne sont pas les regards qui sont atteints de
cécité, mais les cœurs enserrés dans les poitrines » (1). Dans le verset
43 de la Sourate 10, les personnes qui y sont dénoncées
« regardent avec attention » l’envoyé de Dieu, mais ce n’est pas pour
autant qu’ils voient la vérité. La cécité dont il est question ici est
celle de l’œil du cœur. Le prophète Mohammad a transformé les mœurs de
son époque en instaurant l’égalité des personnes handicapées aux
personnes dites « normales » devant Dieu et devant la loi. Les peuples
arabes d’avant l’Islam considéraient les handicapés comme des personnes
encombrantes et inutiles. Le Prophète a dit - selon Boukhari, l’auteur
d’un des grands recueils de Hadiths (Paroles faits et gestes) du
Prophète Mohammad : « Tout musulman atteint par un méfait, ne serait-ce
qu’une piqûre d’épine ou plus, ses fautes lui seront pardonnées et ses
pêchés tomberont [du fait de ce qu’il aura subi] comme tombent les
feuilles des arbres ». Le Coran a exempté les personnes handicapées des
devoirs qu’ils ne peuvent assumer, sans pour autant les diminuer ou les
blâmer : « l’aveugle, le boiteux et le malade n’encourent aucun blâme [à
ne pas se rendre à la Guerre] » (2).
Le Prophète a donné lui-même l’exemple à maintes
reprises. Il avait, pour ne prendre qu’un exemple, deux Moazens
(personnes qui faisaient les cinq appels à la prière) le plus connu
était Bilal, un ancien esclave noir abyssinien et le non moins connu Ibn
Um Maktoum, aveugle de son état.
Les aveugles musulmans ont été et sont, en raison la prodigieuse mémoire
qu’ils ont, de grands porteurs du Coran. Ils mémorisèrent facilement,
par cœur, le Coran et l’enseignèrent à travers les générations. Beaucoup
d’entre eux ont été de grands poètes et écrivains. On peut citer Abu
al-Ala’ al-Ma’rri, poète et auteur du célèbre « épître du Pardon » qui a
inspiré Dante dans sa « Divine comédie ». Abu al-Ma’rri est né en 363
de l’hégire. Il est mort en 449 de l’hégire (soit en 1057 après J.C).
Plus connu encore, des occidentaux, l’écrivain aveugle égyptien, Taha
Hussein.
Il a occupé des fonctions culturelles en Égypte. Il a laissé une œuvre
littéraire monumentale, notamment « Au delà du Nil » de Taha Hussein,
textes choisis et présentés par Jacques Berque chez Gallimard 1977.
Aujourd’hui, les pays musulmans prennent en compte la
psychologie des handicapés et l’obligation de les intégrer à la vie
« normale ». Les Etats riches de ces pays accordent une place remarquée à
l’éducation et la facilitation de la vie des handicapés. C’est le cas
des pays du Golfe, de l’Arabie, de l’Indonésie et de la Malaisie.
Cependant les pays moins riches et plus peuplés semblent débordés par
les problèmes d’instruction et d’intégration des handicapés. La
pollution, le manque de soins et la malnutrition accentuent ce problème.
Les ressortissants des pays maghrébins en Europe, prenant conscience de
ce qui se fait dans leur pays d’accueil, déploient de grands efforts,
par le biais de réseaux associatifs, pour venir en aide aux handicapés
dans leur pays d’origine. Ces efforts sont remarquables, mais ils sont
loin de combler les carences des États. F.L.
(1) Coran S22/v46 ; (2) (Coran S 22/v61)
Nous l’avons vu, l’aveugle entretient une relation
particulière à la lumière dans la religion et par extension une relation
particulière à la connaissance et notamment la connaissance de Dieu.
Cette opération de métaphorisation place l’aveugle très haut dans le
cœur du mystique qui voit en lui l’image parfaite du contemplateur,
celui capable de voir la lumière divine dans l’obscurité de la vie
terrestre. L’aveugle ne voit pas, il sent. Contrairement à Moïse devant
le buisson ardent, il peut se tenir devant Dieu sans être aveuglé par la
lumière divine.
Ainsi, là où la religion semble exclure, là où elle fait
du corps un objet de limitation, la mystique déclare que l’aveugle est
favorisé car il sentirait Dieu d’une manière interdite au voyant. Son
rapport à l’imaginaire, au rêve en est accru et s’en trouve sublimé.
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